ANAËL CALMEL-TRAIN: "MALCUIDANTS" chapitre 4

A la découverte du talent de mon fils. Mardi 7 janvier 2025

Mes biens chers vous,

Je vous invite à découvrir les 4 premiers chapitres du dernier roman en date de mon fils Anaël dont le talent de conteur ne cesse de me surprendre et de me ravir. Et comme vous le savez j’aime vous faire des cadeaux, nous avons, lui et moi, décidé de vous offrir une réduction spéciale sur ce livre, ce pendant les quatre semaines de sa parution chapitrée ici. L’offre n’est valable que sur sa boutique en ligne dont voici le lien:

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Belle découverte à tous.

Je vous embrasse.

Mireille

4

11 mai 1451

Je n’aimais pas la pluie, je ne l’avais jamais aimée. Pas davantage en fine bruine qu’en déluge, tel celui qui s’abattait depuis hier sur le Blayais. L’humidité ne m’était pas une compagne agréable. Mes os et cartilages, un peu plus usés chaque jour, souffraient ; ce matin encore, j’avais eu l’impression de grincer.

L’on m’apprit qu’en ce pays le ciel était capricieux, susceptible, à la marée. C’était vrai. À moins qu’il ne s’amoncelât peu à peu de lourds nuages que pour accompagner l’assombrissement de mes pensées. Car j’étais inquiet. Foutrement inquiet.

Pas parce que cette journée et demie m’avait semblé improductive ; avec ce temps de tous les diables, Goupil, comme tous, s’était probablement terré, mais parce que j’avais ressassé. La discussion avec les gardes, les raisons supposées du furetage de Goupil, l’absence de nouvelles de mon frère… L’anxiété avait fini par me gagner. 

Sitôt les premières gouttes de pluie, j’étais reparti me coucher et n’étais plus ressorti ; pas même pour rejoindre la taverne en soirée. Si messager sur les routes il y avait, lui aussi avait dû s’abriter quelque part dans l’attente d’une accalmie. Moi, je l’aurais fait.

Putain de pluie.

Je savais mon humeur exécrable et je m’en voulais. Car la pluie n’était qu’un prétexte à ma mélancolie dont l’insidieuse noirceur irriguait tel un poison les méandres de mon cerveau. En réalité, j’étais en colère contre moi-même. Pour leur avoir permis, à Goupil et aux soldats, de m’avoir fait douter. Pour m’être abandonné à la faiblesse. Hier, j’avais presque renoncé.

Mon frère Guillaume avait été assassiné ; un fait que je ne pourrais plus changer. Alors, pourquoi ne pas simplement continuer ma vie sans plus m’en soucier ? Pourquoi ne pas quitter la Guyenne pour rentrer chez moi, à Ribécourt, là où m’attendait mon aimée que je savais rongée par la crainte de ne pas me voir lui revenir ? Hier, j’avais prié Dieu de me donner la force d’abdiquer, d’accepter ce déshonneur qui entachait mon nom. De pardonner à Charles VII, de pardonner à Blanche et à Louvain, pour définitivement les abandonner au passé. 

Quel couard ! Ravalant ma fierté, j’y étais presque parvenu. J’avais été sur le point de sombrer quand, surgissant soudain du tréfonds de mes entrailles, l’indignation m’avait submergé, lavant ces doutes pernicieux aussi sûrement que la pluie fouettait les toits de la cité ; puis, muée en glaive de Justice, elle était venue torturer mon cœur. Lame sanglante qui n’aurait de cesse que lorsqu’enfin je l’obtiendrais. Je n’avais pas le droit de partir. Car si mon frère ne récoltait pas justice sur Terre, il ne l’aurait jamais. J’avais beau prier pour son âme, j’étais lucide, ce n’était pas au paradis qu’elle reposait. Or, Blanche et Louvain, avec un parrain de crime tel que le roi, un homme oint, sacré, dont la parole équivalait presque à celle de Dieu, avaient toutes les chances de s’en tirer même par-delà la mort. Je ne pouvais l’accepter. Pourquoi les absoudre eux s’il m’était ensuite impossible de m’en pardonner ? Ils paieraient ; au moins sur cette putain de Terre. Je le jurai.

Avec violence, je me ressaisis.

La meilleure façon d’obtenir justice pour Guillaume était l’avènement d’un nouveau roi en lieu et place de Charles VII. Mais commanditer l’assassinat de cet étron d’Armagnac reviendrait à me rendre coupable de ce qu’à d’autres je reprochais. Et quand bien même il mourrait, je ne connaissais pas suffisamment le dauphin Louis[1], successeur désigné, pour avoir la certitude qu’une nouvelle requête judiciaire aboutirait. Tout me portait à le croire aussi félon que son puant de père… Il me fallait le roi Anglais, déjà sacré en ce royaume et donc légitime à le diriger. Hector et moi avions pris la bonne décision. Je ne devais pas en dévier.

Le doute qui m’avait frappé n’était pas lié à la justesse de mes actes, mais à l’outrecuidance des défenseurs de la cité que je projetais malgré moi sur l’ensemble des Anglo-Gascons. À mes yeux, ils ne valaient finalement pas mieux que les perfides Français. Un soldat restait un soldat. Tant que vous ne lui traversiez pas le corps d’une lame, il pensait toujours l’emporter jurant que Dieu était de son côté ! Foutaises ! Le Seigneur ne pouvait pas soutenir un camp et l’autre en même temps ! Alors pourquoi y compter ? Un véritable guerrier devait aborder le combat avec humilité, s’y préparer en envisageant la défaite pour mieux ensuite la déjouer. L’on n’avait tout de même pas pris la peine d’écrire quatre mille vers sur Roland à Roncevaux uniquement pour le souvenir exquis de la déculottée ! Quand les hommes tireraient-ils enfin leçon des temps passés ?

Aujourd’hui, j’avais la colère facile.

Encore je m’emportais.

Ce n’était pas de ma faute, j’abhorrais les benêts. Même si, pour une fois, j’aurais souhaité qu’ils fussent plus nombreux. À peine une centaine pour défendre Blaye ! Et plus les jours passaient sans nouvelles de l’avancée de l’ost de Dunois, plus je m’inquiétais. 

Qu’adviendrait-il de moi si je me retrouvais piégé à Blaye sans avoir eu l’opportunité d’apporter un réel secours aux Anglais ? Je refusais de me battre pour rien. Le roi Henry devait savoir mon rôle pour m’en être redevable. Bordeaux n’était qu’à sept lieues par eau, certes, mais combien de culverts arrogants accepterait-elle de détacher si l’urgence l’exigeait ? Le sergent s’était montré confiant mais je savais — c’était d’ailleurs la seule information dont je disposais — que la Guyenne subirait plusieurs assauts simultanés. Lors, à quelle cité Bordeaux apporterait-elle en priorité son soutien ? Et surtout, le devrait-elle ? Perdre la capitale par manque d’hommes et d’armes serait un désastre suprême. Au contraire, quitte à vouer Blaye à un triste sort, devrions-nous peut-être tous nous précipiter sur les gabarres pour la renforcer. Que j’avais hâte de m’y rendre pour participer activement à sa sauvegarde !

Pourquoi donc avais-je recommencé à ruminer ?

Vêpres se signalait. Voilà pourquoi. Deux jours sans me farcir la panse. J’avais une faim d’ogre. Envie de mordre le monde entier. Il était temps d’y remédier.

J’enfilai un pluvial et quittai avec hâte l’enceinte de la cité aux venelles désertes. Le ciel était si sombre qu’on aurait aisément cru la nuit déjà tombée.

J’entrai dans la taverne d’où un brouhaha mugissait. Elle était bondée. Les vilains, probablement pas plus joyeux que je ne l’étais, s’arrosaient le gosier aussi sûrement que la pluie inondait leurs blés. Ma table, à gauche du contrefort central de soutènement à la poutre qui traversait la taverne, était occupée par deux jeunes gueux déjà ébréchés.

Je fis aussitôt signe au tavernier qui n’avait pas manqué mon entrée ; nous étions convenus d’un petit arrangementqu’il ne se risquerait pas à déshonorer vu son amour des deniers et de l’écu d’or que je lui promettais. Sans attendre, il souleva au collet les deux merdeux d’une poigne ferme et les reposa plus loin à une table déjà trop occupée. Mais comme il ajouta qu’en guise d’excuse j’offrais une tournée, les soiffards ne firent pas de difficultés. Félon va ! Comme si je ne t’avais pas déjà assez arrosé !

Je m’assis aussi sec — au prix de la place, fallait en profiter — puis commandai à boire et à manger en quantité. Je n’étais pas d’humeur à faire la fine bouche, n’importe quel plat serait parfait. Parfois, la cuisine en préparait jusqu’à trois différents, ce qui était suffisamment rare pour être souligné.

Obligé d’attendre, j’observais la friponne ferrée par Goupil frayer péniblement son fessier tour à tour pincé et caressé entre les tables. Ce soir, j’eus de la peine pour elle, qui grimaçait plus qu’elle ne souriait. Avant l’intérêt manifesté par Goupil pour sa croupe généreuse, je ne l’avais pas véritablement regardée, ni n’avais détaillé son minois. Pourquoi maintenant m’y attarder ? La morosité me rendait-elle sentimental ?

Soudain, je pris conscience des raisons profondes de mon désintérêt premier pour la jolie demoiselle : elle était à peine plus âgée que ma fille unique. Presqu’encore une gamine. J’en fus ébranlé. La main qui lui claqua avec obscénité le derrière alors que la silhouette de ma chère enfant se superposait à la sienne déclencha un déferlement furieux en ma pensée. Comment ce chien galeux osait-il la toucher ? J’eus envie de corriger l’insolent. De tous les corriger ! Je me repris pourtant. Elle n’était pas ma fille. Dieu soit loué ! La mienne ne servirait jamais dans une taverne, puisque promise au jeune seigneur d’Humières, un ami, chez lequel j’avais l’assurance qu’elle serait bien traitée. Serait-elle heureuse pour autant ? Je ne savais pas et pourquoi m’en soucier ? Le bonheur n’était l’apanage que de rares élus. Nous, communs des mortels, apprenions à nous contenter d’un moindre malheur. Soutenu d’honneur et de respect, il suffisait. Et cela, au moins, elle l’aurait.

La servante redoutait-elle de moi les immondices que les autres lui faisaient ? Prenant ses distances, le regard fuyant, elle déposa mon assiette de ragoût fumant et mon claret. Sitôt repartie, elle esquiva une main malhabile qui encore, entre deux bancs, voulut l’hameçonner.

Les narines emplies de la sauce infusée au laurier, je salivais. J’aurais déjà tout englouti si je n’avais eu peur de m’y brûler. Un délice qui, je l’espérais, contrebalancerait mon amertume du jour comme le goût d’eau du claret. Double félon de tenancier ! Me faisait-il payer mon comportement de l’avant-veille ? Me signifiait-il ainsi que je ne devais pas recommencer ? Non, après réflexion, je ne le crus pas. Il n’y avait plus de pèlerins ce soir, tous partis avant la nuit avec la marée, seulement des gens du coin ; depuis Goupil d’ailleurs, aucune nouvelle tête ne s’était présentée. L’ambiance générale différait de l’accoutumée. Forçant l’inaction, la pluie rendait maussade. Trop avinés, certains finiraient par s’escarmoucher. Le tenancier avait judicieusement limité le vin en le coupant d’un bon tiers, voire davantage. Si je comprenais sa démarche, je ne me considérais pas non plus comme un homme ordinaire. Sang de Flavy !

J’allais alpaguer le bougre pour lui dire tout le bien que je pensais de son claret quand la taverne s’ouvrit sur deux types crottés jusqu’aux cuisses et aux chapeaux si dégoulinants de pluie que j’aurais pu m’y baigner. Les pauvres grelottaient. Ils déposèrent capes de voyages et couvre-chefs à l’entrée puis observèrent attentivement le bestiaire présent sans hostilité. Ils ne cherchaient visiblement pas à se faire remarquer par un autre que moi. Car sans nul doute cette fois, ces missi dominici[2] peu ordinaires venaient pour ma trogne.

À côté d’un curé aux yeux torves auquel je n’irai pas me confesser, je reconnus Danel Doubte, le coutilier d’Hector, que je savais aussi être sicaire à ses heures perdues malgré les dénégations naïves de mon frère. Pas le genre d’individus qui me seyait, donc. Mais crédule au possible, Hector n’avait jamais su convenablement s’entourer.

Je leur fis aussitôt signe d’une main. Ils approchèrent. Ne l’ayant pas vu depuis deux bonnes années, j’avais oublié à quel point Doubte était grand : il devait bien mesurer six pieds, et un ou deux pouces en plus. Presque chauve, et le peu restant coupé ras, avec sa longue barbe brune et foisonnante, il dégageait une impression de force tranquille, voire de sécurité. En l’observant de prime abord, impossible de l’imaginer en tueur redoutable ; et pourtant il l’était. L’œil toujours vif, il ne posait jamais de questions, d’autant moins quand la bourse offerte pour ses services sonnait joyeusement dans sa paume calleuse.

Accolé à Doubte en un contraste parfait, le curé, lui, devait être celui de la paroisse de mon frère, donc son principal conseiller. Nouvellement arrivé dans la bande, j’en avais peu entendu parler. Petit et maigrelet de corps, doté d’un menton glabre et d’un nez acéré surmonté d’un regard fourbe, il m’évoquait Goupil. Quant à sa tonsure mi-longue, elle était disgracieuse à souhait. À croire qu’il se la faisait lui-même et sans miroir pour le guider. Difficile de l’imaginer célébrant messe. On aurait presque pu croire à un prêtre déguisé. Lui, un authentique serviteur du Christ ? Un autre sicaire, plutôt ; ou simplement un voleur, un profiteur, un vaurien. J’en aurais mis ma main à couper ! 

Alors que Doubte me salua avec entrain avant de s’asseoir, le curé n’en prit pas la peine, trop occupé à lorgner mon assiette puis le cul de la petite qui repassait tout près. Je n’appréciais guère ce personnage. Et la réciproque était probablement déjà vraie. J’abhorrais la fourberie, et comme Goupil, il en transpirait par tous les pores et puait le chien mouillé !

Je confisquai mon écuelle à son avidité puis réclamai qu’on leur portât prestement la même chose.

Chacun dûment servi, je m’enquis enfin :

— Qu’avez-vous pour moi ?

Doubte sortit une petite lettre enroulée sur elle-même, serrée par un lacet. Je m’étonnai qu’elle ne fût pas scellée par mon frère.

— Simp’e mesure de précaution en cas d’égarement, d’embuscade ou d’tromperie, justifia Doubte entre deux cuillères juteuses, un coup d’œil vers son compagnon de voyage. Cependant, même si là j’en fais office, t’avises pas d’me prendre pour un sceau…

Je ne pus m’empêcher de sourire à ce trait d’esprit qui me donnait une bonne raison de commencer à l’apprécier. Après tout, en dehors de ces activités particulières, je ne le connaissais pas plus que çaUne connivence d’autant plus renforcée que le soi-disant curé, lui, ne nous offrit pour tout commentaire qu’un soupir des plus méprisants sans cesser de remuer sa potée.

Je déroulai le message ; reconnus immédiatement l’écriture grossière et hachée d’Hector. Les phrases étaient codées :

Doubte et Fremery parlent en frères.

Le gué ne sera pas franchi, nous prendrons la clé !

Sème vite et prépare déjà la récolte des lauriers.

Une dernière chose : répondant au cri de l’innocent, le loup vint…

Ma main se crispa soudain, froissa le parchemin.

Le nom n’était pas dit, mais l’allusion était claire.

« Le loup vint… »

Mon cœur palpita puissamment, j’eus le souffle coupé.

La lecture seule des derniers mots occulta le reste.

Loup vint : Louvain.

L’attente, l’inquiétude, les doutes, la torpeur.

Balayés. D’un nom. Ce nom. 

Le sang battant furieusement mes tempes, j’étais prêt à exploser. J’allais me transformer en putain de Vésuve. La taverne serait ma Pompéi ! Rien ne m’arrêterait.

Louvain.

J’avalai mon godet d’un trait dans l’espoir d’apaiser la joie malsaine qui bouillonnait en moi ; sans effet. Je m’étanchai alors directement au pichet pour la noyer sous la quantité ; pas davantage. J’avais besoin de quelque chose de plus fort pour me dégriser. Plus fort même que l’eau-de-vie de prune qui coulait de mes alambics et que j’avalais parfois jusqu’à diluer ma colère contre l’étron Charles VII, la pute Blanche et le ruffian Louvain. Ce à quoi mon corps exigeait de s’abreuver ne fermentait pas, ne se distillait pas : c’était du sang de Louvain dont, sur l’instant, je désirais me rassasier.

Ne pas céder !

J’expirai profondément pour reprendre contenance, chaque souffle repoussant peu à peu la vile tentation.

Si je ne me voyais pas l’accomplir, Doubte, lui…

Non ! cesse d’y penser ! m’écriai-je alors en me meurtrissant l’intérieur des joues jusqu’au sang pour me punir de l’avoir encore formulé.

Jamais je n’aurais pu anticiper que l’éventualité d’une confrontation directe à Louvain me mettrait dans un tel état de fébrilité. Je n’étais plus un jeune puceau, putain ! Envisager des retrouvailles à cent quatre-vingts lieues de Compiègne, inconcevable ! La chose était probable pourtant, puisqu’il avait déjà combattu glorieusement en Guyenne à l’automne passé. Pourquoi alors ne poursuivrait-il pas ce qu’il avait commencé ? Bien qu’il fût l’un des rouages essentiels aux machinations ayant conduit à l’assassinat de mon frère — avant la nomination de Louvain à la tête de la compagnie de Noyon, jamais Blanche n’avait bravé Guillaume —, ce qui avait trait à sa personne ne me fut jamais d’aucun intérêt. Ni ses agissements ni ses déplacements.

Alors, pourquoi maintenant me soucier de lui quand seules la défaite puis la chute de Charles VII devraient m’accaparer tout entier ? Était-ce parce que, lors des dernières heures, j’avais douté de la résistance des Anglo-Gascons, de leur victoire face aux Français ? de voir notre plan initial, cette vengeance — elle était là notre vengeance ! — contre le roi, échouer ?

Peut-être. Sûrement.

La présence de Louvain changeait-elle la donne ?

« Non », me répondis-je à moi-même après une longue hésitation. La vengeance ne ferait qu’accroître le déshonneurqui pesait déjà sur mon nom. Tout mon être refusait de la considérer. 

Pour me ressaisir définitivement, je revins à la première information du message. La seule qui, là, aurait dû m’importer : « le gué » désignait maladroitement la Gironde ; « la clé », Blaye évidemment. « La clé de l’Aquitaine » était le surnom de la cité. Au fond de moi, une petite voix susurra : « Tu l’avais pressenti… ».

J’inspirai profondément à nouveau et engageai enfin Doubte à révéler ce qu’il savait :

— J’vois que t’as compris. Blaye est la cible prioritaire, chuchota-t-il en rapprochant son tabouret de ma chaise. Si elle capitule, le lieutenant général Dunois est convaincu qu’toute la Guyenne suivra. L’est foutrement déterminé. Toi, tu dois rester ici et faire c’que t’as à faire. Me d’mande pas quoi, Hector n’a rien précisé…

— Pas la peine, je le sais. Je vais m’adapter. Ensuite ?

— Bah, t’attends l’arrivée d’l’armée pour lui faire ton rapport, conclut rapidement Doubte pour enfin remplir sa panse du délicieux ragoût du tavernier.  

— Quand ?

— Difficile à dire…

— Bientôt, le coupa Fremery d’une voix forte sans prendre de précautions. Nous assiégeons Montguyon depuis quatre jours déjà…

L’annonce fit son effet. Et pas que sur moi !

Malgré le vacarme ambiant qui rendait presque insaisissables les conversations d’une table à l’autre, les clients proches de la nôtre avaient aussitôt tourné les oreilles vers nous.

Prestement, je saisis le curé de mon frère à l’épaule, puis collai mon front à sa tempe pour le réprimander :

— Imbécile ! grinçai-je. Tu veux créer une émeute ? Nul ne doit savoir et surtout pas ces gueux ! Une informationcomme celle-là se monnaye cher ! Or je compte bien en faire usage.

Après avoir lâché le penaud, je me retournai pour, la mine des mauvais jours, m’adresser directement aux deux tables à côtés :

— J’sais pas ce que vous avez cru entendre mais vous n’avez rien entendu. Mon ami a trop bu. Mais vous ? Z’avez encore soif ?

— Pour sûr, répondirent-ils en un chœur méfiant et discret.

— Alors nous nous sommes compris. Un mot et…

Laissant ma phrase en suspens, j’intimai au tavernier de leur servir une « vraie » tournée. Qu’ils bussent jusqu’àoublier leurs identités.

Au point où mes comptes en étaient…

— La prochaine fois, Fremery, c’est pour ta bourse. Tu affirmes donc que Dunois est à quinze lieues ? Nul ici n’en a entendu parler… Pas un mot, ni même une rumeur. J’ai sondé les soldats. Rien ! Comment est-ce possible ?

— Toutes les voies de communication ont été bloquées, reprit Doubte dans un souffle. Plus personne ne passe.

— Comment avez-vous fait ?

— J’ai estourbi les que’ques soldats français qui nous ont arrêtés pendant que Fremery leur donnait sa bénédiction, expliqua Doubte avec toute la simplicité qui le caractérisait. Personne ne s’méfie jamais des curés…

— Combien ? m’enquis-je aussitôt en pensant que moi je ne me serais pas laissé berner par un stratagème aussi grossier.

— Combien de quoi ?

— D’hommes, pardi !

— J’sais plus trop, six ou sept… C’est allé tellement vite… Puis c’est pas l’genre de détail qui…

— En tout, dans l’ost !

— Ah ! J’me disais aussi… Un peu moins de dix mille.

Dix-mille ! Et à peine une centaine à Blaye pour résister.



[1]. Futur Louis XI.

[2]. Représentants du pouvoir royal à l’époque carolingienne, souvent envoyés par deux : un laïc et un clerc.

Les rendez-vous de Mireille Calmel

Les rendez-vous de Mireille Calmel

Par Mireille Calmel

Je suis née en décembre 1964, et depuis, je n’ai eu de cesse de me battre contre la maladie, la peur, l’adversité.

Condamnée trois fois par la médecine traditionnelle, j’ai eu la chance, immense, de m’en sortir grâce à ma mère, célèbre guérisseuse dans le midi de la France, mais aussi par l’usage des plantes médicinales, des huiles essentielles et une hygiène de vie rigoureuse.

Ma force, mon énergie, c’est dans l’écoute, le partage avec les autres et surtout, surtout dans l’écriture que je la puise.

Voici vingt trois ans, j’ai signé mon premier contrat d’édition dans la prestigieuse maison XO pour un roman intitulé “Le lit d’Aliénor” qui allait séduire plus d’un million et demi de lecteurs.

Depuis, j’enchaîne les best-sellers. 32 à ce jour, toujours chez XO, car je suis d’un tempérament fidèle.

Mais cette réussite, c’est surtout à vous, mes millions de lecteurs que je la dois.

Ce sont vos regards qui pétillent, nos rires partagés, nos moments complices qui font mon bonheur. Qui font que la petite fille terrifiée d’hier est parvenue à s’aimer un peu. Juste assez pour rester humble face à tout cela et vouloir vous transmettre le meilleur de ce qu’elle aime, de ce qu’elle connaît.

Sans autre prétention que cela: vous remercier du fond du coeur de votre confiance sans cesse renouvelée.