LA LÉGENDE ARTHURIENNE, DU MYTHE À LA RÉALITÉ: La dynastie Plantagenêt.

Mardi 4 novembre 2025

Mes biens chers vous,
Si le roi Arthur a trouvé sa voix sous la plume de Geoffroy de Monmouth, il lui fallait encore une cour, un public et une âme pour l’entendre.
Cette âme fut celle d’Aliénor d’Aquitaine, duchesse, reine, mère de rois — mais aussi muse et mécène.
Sous son influence, la légende quitta les monastères pour gagner les châteaux, la politique pour se fondre dans la poésie.
C’est elle qui, plus que tout autre, transforma le rêve d’un roi en roman de civilisation.

🌍 Une reine entre deux mondes

Éduquée, polyglotte, vive d’esprit, elle devient à quinze ans reine de France en épousant Louis VII.
Mais la rigueur monastique de son mari contraste violemment avec sa nature libre.
Elle s’ennuie.
À la cour de France, les mots sont prières ; en Aquitaine, ils sont musiques.
Et déjà, elle comprend le pouvoir des histoires.

Après leur séparation, elle épouse en secondes noces le fougueux Henri Plantagenêt, futur Henri II d’Angleterre.
Ainsi naît un empire : l’empire Plantagenêt, qui s’étend de l’Écosse aux Pyrénées.
Et au cœur de ce vaste territoire, une femme — Aliénor — devient le lien vivant entre les cultures du Nord et du Sud, entre la rudesse normande et la finesse occitane, entre la politique et la poésie.

🕊️ La légende trouve sa cour

À cette époque, l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth circule déjà dans les scriptoria.
Mais c’est à la cour d’Aliénor que le texte prend vie.
Elle le fait traduire, adapter, chanter.

Vers 1155, le poète Wace, chanoine de Bayeux, compose son Roman de Brut — une version en langue romane du texte de Geoffroy, dédiée à la reine ou à son entourage immédiat.
Il y introduit une idée qui fera fortune : la Table ronde, invention purement symbolique.

“Et pour ce qu’ils fussent tous égaux, fit la Table ronde.”

Ce vers, simple et clair, traduit une vision du monde.
La Table ronde, c’est la société rêvée par Aliénor : un lieu où le courage, la loyauté et la parole valent plus que le sang ou le rang.
Sous sa bienveillance, la matière de Bretagne devient miroir de l’idéal courtois.

🎭 La politique derrière le mythe

Mais Aliénor n’est pas qu’une muse : elle est stratège.
La légende arthurienne, en exaltant la figure d’un roi fondateur, sert d’outil à la propagande Plantagenêt.
Dans un empire jeune et fragile, qui réunit des peuples parlant des langues différentes, il faut un mythe commun.
Arthur devient ce ciment.
Un roi de Bretagne ancien, juste et victorieux : quoi de mieux pour légitimer la dynastie d’Henri II, duc d’Anjou, comte du Maine, d’Aquitaine et roi d’Angleterre ?

Les Plantagenêt s’approprient donc la légende.
Henri II encourage les moines à Glastonbury à fouiller sous l’abbaye.
Et en 1191, miracle : on découvre deux cercueils, un homme et une femme, portant une croix gravée Hic jacet sepultus rex Arturus cum Wennevere uxore sua — “Ici gisent le roi Arthur et sa femme Guenièvre.”

Le chroniqueur Giraud de Barri, témoin de l’événement, raconte que les corps reposaient “dans un tronc creusé de chêne noirci par le temps.”
Un miracle ? Une manipulation ? Les historiens en débattent encore.
Mais la portée symbolique est immense : Arthur ne reviendra plus.
Le mythe cesse d’être menace pour le pouvoir gallois : il devient propriété du trône anglais.

⚔️ L’épée diplomatique : Excalibur

Quelques années plus tard, le fils d’Aliénor, Richard Cœur de Lion, s’empare du symbole.
En 1191, alors qu’il prépare la croisade, il offre à Tancrède de Sicile “une épée nommée Excalibur, qui appartenait jadis au roi Arthur.”
Ce geste, rapporté par le chroniqueur Roger de Hoveden, n’est pas anodin : il transforme la relique mythique en objet diplomatique.
L’épée n’est plus seulement arme de héros, mais signe de légitimité et de confiance.

🎶 Aliénor la mécène : tisseuse de récits

Si Geoffroy de Monmouth fut le scribe, Aliénor en fut la narratrice invisible.
Sa cour de Poitiers puis d’Aquitaine devient un foyer de création sans équivalent.
Les troubadours y affluent : Jaufré Rudel, Bernart de Ventadorn, Marcabru…
Sous ses voûtes, on chante l’amour lointain, la fidélité, la vaillance.

C’est ici que naît la fin’amor, cet amour courtois où la femme élève l’homme, où la parole devient épreuve et adoubement.
Cette vision, directement issue du raffinement occitan, s’imprègne bientôt de la légende d’Arthur.
Le chevalier n’y combat plus seulement des géants ou des traîtres : il conquiert son honneur par la force du cœur.

Aliénor ne commande pas des poèmes : elle inspire un mouvement.
Et ce mouvement, littéraire et spirituel, traverse l’Europe.
De Poitiers à Winchester, de Troyes à Palerme, les chansons de geste et les romans arthuriens circulent comme des armes de lumière.

✨ Anecdote : un banquet à Poitiers

Une chronique tardive rapporte qu’Aliénor, lors d’un grand banquet, fit représenter les exploits d’Arthur par des jongleurs déguisés en chevaliers.
Les tables furent dressées “en rond”, pour honorer la légende.
Un symbole, encore : la Table ronde prenait corps, mêlant spectacle, foi et politique.
Dans cette mise en scène, on devine déjà le futur roman de chevalerie, où la fiction devient miroir du réel.

🕊️ Une femme de pouvoir et de transmission

Aliénor d’Aquitaine aura deux fils rois, Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre. Parmi ses nombreux enfants, sa fille, Marie de Champagne, tiendra une place particulière dans la transmission de la légende, je vous en parlerai la semaine prochaine.😉

Ce qu’il faut retenir aujourd’hui, c’est que là où Geoffroy avait dressé une fresque historique, Aliénor et Marie lui offrent une âme.
La légende devient univers féminin : parole, sensibilité, inspiration.
Les femmes ne s’y contentent plus d’être des reines à sauver : elles s’inventent sources de quête et d’idéal.

🌾 Aliénor, reine des lettres et du cœur

Quand on relit aujourd’hui les chroniques du XIIᵉ siècle, on découvre entre les lignes le portrait d’une femme hors du temps : intelligente, parfois crainte, souvent incomprise, mais toujours visionnaire.
À une époque où l’écriture est affaire d’hommes et de moines, Aliénor comprend avant tout le monde que le pouvoir se conquiert aussi par les mots.

Sous son égide, la Matière de Bretagne devient la matière de l’Europe. Et cela va faire toute la différence.

Sans Aliénor, la légende d’Arthur serait restée l’affaire des moines.
Avec elle, elle devint le miroir de la civilisation courtoise.
Sous sa houlette, les chevaliers apprirent à parler, les poètes à rêver, et les rois à se raconter.


📜 Saviez-vous ?

  • La fameuse “découverte du tombeau d’Arthur” en 1191 à Glastonbury aurait été, selon plusieurs historiens (notamment Martin Aurell et John Gillingham), suggérée par Henri II lui-même pour éteindre les prophéties galloises annonçant le retour du roi.

  • Le vers “Et pour ce qu’ils fussent tous égaux, fit la Table ronde” apparaît dans le Roman de Brut de Wace (vers 1155), première mention connue de la Table Ronde.

  • La tradition attribue à Aliénor la tenue des premiers “cours d’amour” à Poitiers, où l’on jugeait poétiquement les comportements amoureux et chevaleresques.


📚 Pour aller plus loin

  • Wace, Roman de Brut, éd. Judith Weiss, Exeter University Press.

  • Gerald of Wales, De Principis Instructione, trad. Brewer, 2002.

  • Martin Aurell, Aliénor d’Aquitaine et la légende arthurienne, Presses universitaires de Poitiers, 2015.

  • Françoise Le Saux, The Arthur of the French: The Arthurian Legend in Medieval French and Occitan Literature, University of Wales Press, 2006.

  • Historia Regum Britanniae, Gallica


Il est tard, je vais quitter mon bureau avec le coeur qui palpite.

J-2 avant la sortie de l’intégrale de Morgane, reine des Brumes. 😉 J’ai hâte de lire vos réactions.

Belle fin de semaine à tous!

Je vous embrasse.

Mireille

Les rendez-vous de Mireille Calmel

Par Mireille Calmel

Je suis née en décembre 1964, et depuis, je n’ai eu de cesse de me battre contre la maladie, la peur, l’adversité.

Condamnée trois fois par la médecine traditionnelle, j’ai eu la chance, immense, de m’en sortir grâce à ma mère, célèbre guérisseuse dans le midi de la France, mais aussi par l’usage des plantes médicinales, des huiles essentielles et une hygiène de vie rigoureuse.

Ma force, mon énergie, c’est dans l’écoute, le partage avec les autres et surtout, surtout dans l’écriture que je la puise.

Voici vingt cinq ans, j’ai signé mon premier contrat d’édition dans la prestigieuse maison XO pour un roman intitulé “Le lit d’Aliénor” qui allait séduire plus d’un million et demi de lecteurs.

Depuis, j’enchaîne les best-sellers. 32 à ce jour, toujours chez XO, car je suis d’un tempérament fidèle.

Mais cette réussite, c’est surtout à vous, mes millions de lecteurs que je la dois.

Ce sont vos regards qui pétillent, nos rires partagés, nos moments complices qui font mon bonheur. Qui font que la petite fille terrifiée d’hier est parvenue à s’aimer un peu. Juste assez pour rester humble face à tout cela et vouloir vous transmettre le meilleur de ce qu’elle aime, de ce qu’elle connaît.

Sans autre prétention que cela: vous remercier du fond du coeur de votre confiance sans cesse renouvelée.