Mardi 28 octobre 2025
Mes biens chers vous,
Le 6 novembre prochain sortira l'intégrale de Morgane Reine des Brumes, qui regroupera le tome 1 sorti en 2019 et le tome 2 que vous attendez tous avec impatience.
Pourquoi une intégrale?
La décision ne m'appartient pas, c'est celle d'XO.
Mais vous ne serez pas lésé pour autant si vous possédez déjà le premier tome, puisque j'ai retravaillé ce texte dans son ensemble en y ajoutant des chapitres supplémentaires et que Pierre Legein, le dessinateur de la BD du Lit d'Aliénor illustre cette intégrale collector.
Je voulais qu'elle soit à petit prix, elle l'est: 23,90€ pour 630 pages.
J'espère que vous aimerez cette fin et même que vous aurez envie que ces personnages ( ils me hantent encore) continuent à cheminer sur les pages de kessel dans d'autres aventures.
Bref, je ne pouvais pas célébrer cette sortie sans vous parler en détail de la légende arthurienne. Car, vous le savez, derrière tout mythe se cache une histoire et celle-ci, née de l'imaginaire, est à l'origine de bien plus de choses qu'il n'y parait.
Alors, prêt à ouvrir le premier chapitre?
Il y en aura trois... ou quatre, qui sait? 😉
Avant les amours contrariées de Lancelot et Guenièvre, avant les chants des troubadours et les visions de Merlin, il n’y eut qu’un nom, murmuré dans les vallées galloises : Arthur.
Un nom gravé dans la mémoire populaire bien avant d’être écrit.
Les premières mentions sont modestes : la Historia Brittonum (vers 830) évoque “le chef Arthur” qui mène douze batailles victorieuses contre les Saxons ; les Annales Cambriae (vers 950) rapportent qu’il tombe à Camlann, aux côtés d’un certain Medraut.
Rien encore du roi couronné, rien d’Avalon, rien d’Excalibur.
Juste un écho d’héroïsme dans un monde qui s’effondre.
Mais déjà, les bardes reprennent ce nom dans leurs chants.
Et dans la pénombre des monastères, le mythe s’imprègne de fer, de foi et de mémoire.
Là, dans les brumes celtiques, s’enracine la première épopée européenne.
Vers 1135, un jeune clerc gallois du nom de Geoffroy de Monmouth entreprend une tâche audacieuse : raconter toute l’histoire de la Bretagne depuis ses origines.
Son œuvre, l’Historia Regum Britanniae (L’Histoire des Rois de Bretagne), se présente comme la traduction d’un mystérieux manuscrit “ancien et breton”.
Ce “livre source” n’a jamais existé ; mais il donne au texte une autorité mythique.
Geoffroy invente librement.
Son ambition : donner à son peuple un passé glorieux, une “Iliade” du Nord.
Sous sa plume, la Bretagne devient l’héritière de Troie, et Arthur le dernier de ses rois mythiques, conquérant de la Gaule et rival de Rome.
“Arthur, l’unique roi que la Bretagne ait pu craindre et adorer tout ensemble,
portait le feu dans son épée et la lumière dans ses yeux.”
— Historia Regum Britanniae, livre IX
C’est la première fois qu’un auteur européen mêle ainsi politique, légende et poésie.
Et ce geste va tout changer : la chronique devient roman, le héros devient mythe.
Là naissent les piliers de la légende :
Merlin, fils d’un démon et d’une vierge, inspiré de la figure celte de Myrddin ;
Caliburnus, l’épée d’acier forgée à Avalon ;
et Avalon, l’île des pommiers, refuge des héros et miroir du paradis perdu.
Tout ce vocabulaire poétique vient de lui.
Geoffroy ne reprend pas des mythes : il les crée.
Et ces mots, à la sonorité presque organique, deviendront le lexique de tout l’imaginaire occidental.
Sous la brume des enchantements, l’intention est claire : dans une Bretagne morcelée entre Normands, Gallois et Saxons, Geoffroy conçoit un roi fédérateur, modèle de paix et de puissance.
Arthur incarne un idéal politique : celui d’un souverain juste, élu du destin, garant de l’ordre.
Une figure utile pour asseoir la légitimité des nouveaux pouvoirs – mais aussi, déjà, un symbole universel du bien souverain.
Le succès est immédiat : en moins d’un siècle, plus de deux cents manuscrits se répandent à travers l’Europe.
C’est un véritable phénomène littéraire.
Les clercs le copient, les poètes l’imitent, les princes s’en réclament.
Le texte franchira bientôt la Manche, traduit en langue romane par un poète normand nommé Wace – mais ce sera l’objet du prochain article : comment la cour d’Aliénor d’Aquitaine fit passer le mythe d’île en empire…
Au cœur du récit, Geoffroy insère une vision : le jeune Merlin, encore enfant, annonce la chute des rois par la lutte de deux dragons, l’un rouge, l’autre blanc.
“Le dragon rouge vaincra le dragon blanc,
et le peuple des collines retrouvera sa couronne.”
Cette image, allégorique du triomphe des Brittons sur les Saxons, deviendra l’emblème du pays de Galles.
Mais elle dit surtout le pouvoir des mots : transformer la politique en symbole, le réel en légende.
Caliburnus, “l’acier”, est forgée à Avalon.
Geoffroy y inscrit une idée neuve : le pouvoir légitime ne vient pas de la naissance, mais d’une épreuve sacrée.
Le roi n’est pas celui qui hérite, mais celui qui mérite.
C’est là l’un des fondements de toute littérature chevaleresque à venir.
Dans l’ombre de Geoffroy, une révolution s’amorce.
Son écriture, mêlant réel et merveilleux, annonce le roman moderne.
Ses figures – le roi blessé, le prophète visionnaire, la reine tragique – seront reprises et transformées par les auteurs suivants.
Chrétien de Troyes, au siècle suivant, fera de cet héritage une école du cœur et de la quête intérieure.
Mais c’est bien Geoffroy qui, le premier, a uni l’histoire, la légende et l’émotion en un seul souffle.
Et c’est pourquoi, neuf siècles plus tard, son ombre plane encore sur toute écriture épique – jusqu’à Morgane Reine des Brumes.
Arthur, dit-on, ne mourut pas : il fut conduit à Avalon, “pour être guéri de ses blessures”.
De ce sommeil naquit une promesse : le roi reviendra quand la Bretagne aura besoin de lui.
Car, au fond, Arthur n’est pas un roi : c’est la part de rêve qui ne veut pas mourir.
Et Geoffroy de Monmouth, son inventeur, en fit le premier héros intemporel de la littérature.
Le manuscrit originel de la Historia Regum Britanniae est conservé à la Bibliothèque nationale de France (Gallica, ms. latin 6048).
On y voit, dans une écriture serrée du XIIᵉ siècle, le passage fondateur où Geoffroy évoque Avalon et Caliburnus.
Issu du latin chalybs (“acier”), Caliburnus deviendra Excalibur par transformations phonétiques successives en anglo-normand et en ancien français.
Le mot garde, dans ses sonorités, l’idée de feu et de force.
Je vous promets qu’elle va flamboyer…
La semaine prochaine, vous découvrirez comment Aliénor et Henri Plantagenet ont fait du mythe Arthurien le socle de leur politique et de leur ambition… toute une histoire.
Je vous embrasse,
Mireille